Ne vous laissez pas abuser par l'esthétique un peu "Tricatel" de la pochette. Rogue State ne donne ni dans l'easy-listening, ni dans la house tendance rétro. Entre trip-hop et électronica downtempo, avec d'excellents enrobages free-jazz, Jefferson Lembeye aka Rogue State développe son concept un peu confusément mais non sans un certain talent. Rogue State : "État Voyou", terme employé par le gouvernement américain pour désigner différents pays orientaux, africains ou sud-américains au régime politique douteux, au régime alimentaire tout aussi douteux et soumis par Uncle Sam a des sanctions politiques et économiques sous le prétexte discutable de soutien au terrorisme international.
Malheureusement, les attentions humanistes et velléitaires de Jefferson Lembeye se sont achevées six mois avant l'attentat du World Trade Center. Abandonné en juin 2000, le statut d'"État Voyou" pourrait bien se retrouver à nouveau sur le devant de la scène et notre ami Jefferson aurait parlé en pure perte. Mais foin d'idéalisme, revenons au disque lui-même. Entre électronique et organique, les onze titres de Rogue State font souvent preuve d'un certain nombre de bonnes idées. La mélancolie des cuivres mourants et les rythmiques saccadées parfois enragées (comme sur le superbe "Kyoshi", point culminant du disque) s'égarent dans des arabesques sonores aux allures de labyrinthe dans lequel l'auditeur se perd avec délice et inquiétude. Mais si Rogue State nous entraîne dans un environnement musical mouvant et périlleux, son album manque encore de maturité et d'unité. Qui plus est, sa musique, cérébrale et intimiste, exprime assez mal les cabales mondialistes qu'entend dénoncer (ou tout du moins évoquer) Jefferson. Fascinante mais pas encore assez envoûtante, la musique de Rogue State ne tient peut-être pas toutes ses promesses mais en tout cas nous entraîne irrésistiblement. Un peu plus de schizophrénie, deux cuillères à pots de paranoïa pure et non diluée donneront à Rogue State l'assaisonnement qui lui manque et, nul doute qu'au prochain opus, même moi, à qui la vision télévisuelle de peuples opprimés ou d'enfants affamés ne coupe guère l'appétit; même moi, dis-je, grâce à la musique de Rogue State, j'aurai bientôt envie de balancer des avions sur toutes les pompes à fric de l'Occident !
Mario