Entre deux albums des Stranglers, le bassiste Jean-Jacques Burnel s'est offert en 1978 un premier album solo aussi brillant qu'avant-gardiste. Plus de vingt ans après, le label goth Plastic Head réédite en remastérisé ce disque époustouflant, agrémenté de neuf titres live. Initialement sorti sur EMI, "European Cometh" s'avère un pur joyau de pop expérimentale punkisante, tellement peu commerciale que l'on se demande comment le label a pu accepter de donner son aval. Si l'on reconnaît les influences psychédéliques chères aux "Meninblack", on s'étonnera de l'immense créativité sonore et expérimentale de ce disque. On se prend même à retrouver des analogies troublants avec Add (N) to X, dont on ne se posera même pas la question de savoir si ce disque fait partie de leur discothèque de chevet, tant la réponse est évidente. L'auditeur est même pris d'une troublante admiration en écoutant l'instrumental "Triumph (of the Good City)", entièrement construit autour du ronflement du moteur d'une moto (!) Malgré l'absence de Dave Greenfield, "European Cometh" garde des sonorités très électroniques, grâce aux délires analogiques de la sculpturale Penny Tobin (dont on se demande ce qu'elle a pu devenir). J. J. s'est aussi adjoint les services de John Ellis, guitariste des Vibrators, et du batteur Peter Howells. On trouvera sur "European Cometh" des ambiances encore plus gothiques que chez les Joy Division de la même époque, notamment sur le titre "Euromess". Mais le tube obligé de cet album, dont on trouvera le clip d'époque sur la vidéo "Holy Book" des Stranglers, est le percutant "Freddie Laker (Concorde & Eurobus)" , qui conserve un quart de siècle après sa puissance ravageuse.
On l'aura deviné : "European Cometh" est un concept -album autour du sujet très actuel de l'Europe économique. L'album s'ouvre sur "Euroman", un morceau lent, chanté dans un français approximatif, et qui dit : "Je suis descendant de Charlemagne, je suis descendant de Cromwell, je suis descendant de Bonaparte, je suis descendant d'Adolf Hitler. Je suis ton Eurohomme, Euroman, Your Old Man". On en déduira que J. J. Burnel cherche surtout à exprimer le chaos culturel qui résulte de l'Union Européenne. La pochette du disque, montrant un J. J. minuscule face au Centre Georges Pompidou, qui venait alors tout juste d'ouvrir, reflète une vision cauchemardesque de la culture européenne. Mais J. J. cherche-t-il réellement à la dénoncer, ou bien est-ce là une fascination irrépressible pour l'anarchie mondiale ? Cela, J. J. se garde bien de le préciser. Ce sera donc à chacun de se faire une idée...
Mais c'est justement à l'orée de 2002, dans cette époque où l'on s'acharne à nous vendre l'Europe et sa monnaie avec d'inquiétants slogans orwelliens, que réécouter "European Cometh" prend une réelle signification. Et comme le dit ironiquement J. J. dans le crépuscule des défuntes années 70 : "Nous sommes au centre de la civilisation, alors préparons-nous !"
Mario