C'est dans une mise en scène digne du maître du suspense que l'exposition Hitchcock et l'art : coïncidences fatales, présentée au Centre Georges Pompidou, donne à voir près de 200 œuvres : peintures, gravures, dessins, livres et affiches, story-boards, maquettes de décors, dessins de costumes, ainsi qu'une quarantaine d'extraits de films.

La lecture du parcours s'articule selon trois points de vue : - le premier, situe le visiteur sur le plan documentaire et contribue à une connaissance de l'œuvre filmée, de sa construction et de la vie du cinéaste à partir d'archives.
- le second, plus spectaculaire et onirique sous la forme de scénographies restitue l'atmosphère interne des films et fait comprendre le caractère savant de leur mise en scène et les expériences auxquelles le cinéaste soumettait la vision et l'imagination.
- le troisième qui se place d'avantage sous le signe de l'interprétation, se focalise sur les influences, les inspirations et les héritages de la création cinématographique d'Hitchcock.

Dès l'entrée on est littéralement transposé au sein de l'univers (inquiétant) hitchcockien où s'abolissent d'emblée les frontières entre le réel et sa représentation. En effet, la première étape s'effectue dans une salle à l'obscurité matricielle, sorte de chambre obscure où gisent sous des cages de verre les objets mythiques qui ont fait l'œuvre.
Présentés chacun sur un coussin-écrin de satin rouge sang, ces objets sacralisés, fétichisés faisant figure d'objets emblématiques, obsessionnels, allant de ciseaux, bijoux et couteaux ou encore des lunettes aux verres becquetés des " Oiseaux ", de l'appareil photo de " Fenêtre sur cour ", jusqu'à la tête humaine réduite des " Amants du Capricorne ", se révèlent comme des objets dotés de vie, des objets-personnages.
A peine sorti de cette première étape, s'enchaînent alors tout au long de l'exposition les thématiques choisies par les concepteurs : la femme, le désir et son double, les lieux d'inquiétude, les Terreurs, et enfin le monde du spectacle et le spectacle du monde.
Les salles illustrent désormais les rapports entre l'œuvre cinématographique et l'œuvre picturale et deviennent l'occasion pour le cinéphile et l'amateur d'art de connaître l'œuvre, de parcourir l'imaginaire du cinéaste et de découvrir les connivences plastiques et littéraires secrètes qu'entretenait Hitchcock avec les artistes des 19e et 20e siècles.

S'inspirant et étant fortement imprégné de la littérature d'Edgar Poe ou d'Oscar Wilde, le réalisateur a souvent utilisé des portraits peints en leur conférant une place centrale hypnotique, voire terrifiante.
Et c'est ainsi que les portraits de femmes préraphaélites d'Edward Burne-Jones, de John Everett Millais (Ophélie) ou encore de Dante Gabriel Rossetti (Proserpine) traversent l'œuvre du cinéaste.

Progressivement, les correspondances s'établissent avec les grands peintres que ce soient les symbolistes ou les surréalistes.

Tout d'abord en ce qui concerne la mise en scène des lieux inspirant l'inquiétude. Dans les œuvres cinématographiques d'Hitchcock, le paysage est chaotique à l'image de la désespérance de la maison hantée, isolée sur une colline de " Psychose ".
Le paysage évoque à la fois le Romantisme par le biais d'une ruine de Böcklin mais également, par son caractère décharné dans sa quasi globalité, confère une puissance dramatique à l'œuvre.
S'enchaînent alors correspondances imprévues et associations libres : la toile d'Arnold Böcklin nous fait immanquablement penser à Sorel et à sa fameuse " Ile des Morts ", quant à l'étrangeté et à l'inquiétude (semblant bien être les mots d'ordre de la scénographie qui englobe littéralement l'ensemble de l'exposition) que provoque le paysage, ils sont non sans rappeler cette atmosphère propre à un Caspar Friedrich.

De la même façon, les grands maîtres du 20ème siècle semblent être présents de manière presque permanente dans les œuvres cinématographiques d'Hitchcock.
Ainsi, " Psychose " est placé sous l'influence revendiquée du Cri de Munch. br> La connivence avec les surréalistes demeure aussi déterminante comme le montre la salle entièrement dédiée à Salvador Dali, où domine l'omniprésence de l'œil, Hitchcock ayant fait appel à lui pour les décors oniriques de " Spellbound " [La Maison du docteur Edwardes].

L'exposition montre aussi comment Hitchcock exerce une influence auprès des artistes contemporains. Citons par exemple l'installation vidéo de Tony Oursler Seed (Nucleus) ou encore des œuvres exposées dans la salle consacrée au thème des Oiseaux où l'installation du portique accueillant les sombres et menaçants volatiles des " Oiseaux " plante une nouvelle fois cette atmosphère menaçante que vient conforter l'œuvre remarquable d'Eldon Garnet intitulée NON.

C'est ainsi que l'exposition nous permet de jeter un nouveau regard sur une œuvre abondante qui a inspiré et a été inspirée par l'art en général montrant un mélange habile (voire fusionnel) entre Arts Plastiques et cinéma.
Passant d'un univers où se mêlent oppression et calme absolu, le spectateur véritablement transporté dans l'univers hitchcockien, se surprend à imaginer son propre scénario avec des images et des séquences où se seraient côtoyés les plus grands maîtres du 19e et 20e siècles ; bref, un film à l'image de l'exposition : où prédominerait l'ambiance quasi mystique d'un film d'un des plus grands mythes cinématographiques. " A partir de séquences, de story-boards et de divers accessoires d'un côté, de peintures et de photographies plasticiennes de l'autre chacun peut se faire son propre film. Les images d' Hitchcock sont ancrées au plus profond de nous, sans même que nous en ayons toujours conscience, sans même savoir ce qui, du souffle purement dramatique ou de la puissance d'expressivité des plans, nous a le plus marqué et continue de nous poursuivre " (extrait de Beaux-Arts Magazine, juin 2001).
Plongé au cœur du mystère Hitchcock, on en sort alors comme saisi du désir quasi maniaque d'y retourner.
Valérie

Centre Georges Pompidou, jusqu'au 24 septembre. http://www.mbam.qc.ca/expopassees/hitchcock.shtml (Activité interactive sur l'exposition)